25 ans d'engagement au carmel...
Ma vie au Carmel est une alliance avec le Christ... Avant tout, il y a une détermination, un vouloir faire quelque chose, donner un sens à sa vie. Dieu ne m’a pas donné la vie, le don de la vie pour rien. Qu’est-ce que je veux en faire ?
J’ai d’abord cherché quelque chose qui va vers les autres, un métier de relation d’aide : infirmière... Profession exercée de longues années avant de m’approcher d’un Carmel... Sur ce chemin là, à travers des rencontres, j’ai cherché l’engagement de l’intérieur... Puis la rencontre vraiment décisive avec la Personne du Christ. Ma vie au Carmel est une alliance avec la Personne du Christ. Et on se rend compte, on découvre que c’est Lui le premier qui fait alliance avec nous qui nous précède toujours sur le chemin.
Cette alliance est vécue dans un service communautaire...
La vie communautaire, c’est à la fois richesses partagées et « aiguillons »… (poil à gratter !)… Car nous y venons avec notre capital de défauts et de qualités. Or la tendance toute humaine est de repérer d’abord les défauts de l’autre. Et voilà que cette vie communautaire vous renvoie à votre personne ! Dieu se sert de la communauté pour vérifier la véracité de notre engagement, de l’amour, il s’agit d’aimer. Autant je peux me remettre en questions dans la vie fraternelle, autant ma relation avec le Christ s’approfondit, s’enracine. Donc, cet engagement ne consiste pas en belles paroles pieuses. Il s’agit de marcher, d’assumer, de continuer et de recommencer chaque jour, surtout quand survient l’adversité : épreuves personnelles, familiales, communautaires. Là se présente le combat, la lutte, pas avec l’autre, avec soi-même. On se rend compte que c’est un chemin permanent de conversion. Il n’y a pas d’arbitraire.
Pour exemple : telle ou telle qui vient à me déplaire ou même antipathie depuis le début !… Partager cela avec le Christ, Il sait, prier pour elle, surtout ne pas l’ignorer, d’ailleurs, c’est impossible d’en faire abstraction, elle est là. Vouloir l’aimer comme elle est.
L’engagement, c’est continuer parce qu’on a dit « oui » !
A certains moments, période de la vie, on peut beaucoup souffrir intérieurement et ne pas être malheureux parce qu’il y a le bonheur du « oui », la joie d’appartenir au Christ, pas comme une prisonnière, mais comme une femme libre et amoureuse. On demeure sous son regard à Lui, on trouve la force en Lui.
Dans l’Evangile, la femme malade qui s’avance furtivement parmi la foule et touche son vêtement : Jésus le sent, Il se retourne, demande qui l’a touché ! Une force émane de Lui (Mc 5,25-34). C’est ça la prière. On y vient avec sa condition humaine: notre péché, nos doutes, nos incertitudes, nos insuffisances… Jésus nous communique sa force. La prière est un acte de Foi. Puisque je vous parle de la prière qui fait partie de l’engagement, ce n’est pas seulement une affaire de goût, de délectation. C’est un labeur, un décentrement de soi, une fidélité de tous les jours et aux mêmes heures ! Le Pape François qui vit chaque jour un long temps de prière personnelle (je ne parle pas de la liturgie) dit que c’est un temps de « reddition sans condition ». C’est fort ça ! Il poursuit : « Je me sens comme si j’étais dans la main d’un Autre, comme si Dieu me tenait par la main. » Le Christ est sa source. Ce total décentrement permet alors la communion avec Lui et avec les autres. Alors, on est partie prenante de ce qui se passe dans le monde. On est comme un pont, un médiateur qui dépose dans le cœur de Dieu les cris, tous les cris des hommes de notre temps. C’est un labeur, comme je vous le disais plus haut, parce que la prière se nourrit de la fréquentation de l’Ecriture, la Bible et de toutes lectures qui aident à sa compréhension, une certaine étude. Le journal aussi bien sûr, l’information.
Cet appel, cette attirance que nous nommons encore « vocation », suppose une mission...
C’est pourquoi je viens de vous parler de la prière très brièvement et sous l’aspect personnel ! Car il y a aussi la liturgie. Cette mission est la nôtre, carmélites, ce qui ne vous dédommage pas ! Je dirais qu’à l’intérieur de cette mission, chacune a un chemin, parce que c’est un dessein d’amour de Dieu sur chacune. Chacune à l’intime d’elle-même découvre ce chemin caché au départ, qui se dévoile, se déroule, se révèle dans la réponse donnée au quotidien, sur son chemin propre. C’est de l’ordre de l’intelligence du cœur, de l’intuition de l’amour, le cœur perçoit le « pourquoi », « pour quoi moi ? ».
Dans ce « déroulement » en marchant, il ne faut surtout pas oublier la force de l’Esprit Saint qui éclaire l’intelligence des signes, des événements personnels, familiaux, internationaux. Le Christ s’incarne dans notre propre vie de cette façon, car Il sait que nous sommes des créatures, donc limitées. Nous n’avons pas la plénitude de la connaissance et nous n’avons pas l’imagination de Dieu qui fait toutes choses nouvelles.
« Je suis un pécheur sur lequel le Seigneur pose son regard de miséricorde » témoigne encore le Pape François...
Bon, voyez : Dieu est essentiellement Amour et l’Amour ne s’impose pas. Il a besoin de nous, Il fait confiance, Il sollicite l’homme au fond de son cœur, mais Il le respecte totalement, Il nous laisse notre totale liberté. Nous pouvons dire : « non ». La vocation quelle qu’elle soit est un don mais nous pouvons nous détourner. Je dirais que Dieu est en quelque sorte dans nos mains. Nous avons une responsabilité parce que - c’est une conviction personnelle - ce n’est pas le voisin qui accomplira la part qu’Il désire me confier. Bien sûr, Dieu n’est pas enfermé dans nos limites humaines, Il cherche toujours l’homme, Il frappe toujours à la porte, la porte du cœur. Mais on a une responsabilité car on a ce temps là sur la terre pour accomplir une tâche d’homme et de femme. Ce temps là pour aimer. Et Dieu espère toujours, attend toujours... Il y a le bel Evangile du fils prodigue (Luc 15, 11): comme un Père, Il attend que le fils se relève, se réveille, se remette en marche, se remette en question, redémarre. C’est cela aussi l’engagement. Se remettre en question et recommencer.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’engagement. C’est un corps à corps (Pape François) tout au long de la vie, parce qu’il y a des conséquences pour soi, on perd des plumes, on se mouille ! Et il y a des conséquences pour les autres.
Alors, bien sûr, on peut avoir envie de fuir, parce que ça devient très difficile…
Les canadiens français ont une expression qui signifie : « J’en ai ras-le-bol », ils disent : « J’ai mon voyage ! ». C’était une expression de paysans : « J’ai mon voyage de foin. », aller-retour de chargement de foin. C’est le temps de l’épreuve de l’or au creuset, de l’or passé au feu pour être purifié de toutes les scories. C’est l’image, qui signifie que ce n’est pas le moment de fuir alors qu’on va décrocher une pépite d’or, c’est-à-dire, les fruits de l’accomplissement dans l’engagement, la paix, la joie intérieure, la certitude qu’on a bien fait, qu’on a pris le bon chemin. Une fécondité.
Il faut avoir beaucoup de patience envers soi et envers les autres dans le temps de l’épreuve, qui survient toujours au cœur d’une vie. Bien sûr, il ne faut pas s’acharner au point de se détruire, il s’agit de discerner et de se faire aider à discerner, pour bien choisir. Nous qui avons la chance d’avoir la Foi, nous croyons que le Christ est ressuscité : Il est le Roc sur lequel nous pouvons nous appuyer et nous reposer.
Je ne vous ai pas parlé du travail qui fait partie de notre vie, le boulot !
La responsabilité que nous avons de nous prendre en charge vis-à-vis de la société et pour notre dignité, de gagner notre pain, de nous donner du mal, tous les engagements successifs, les « oui » successifs, à l’intérieur de l’engagement dans l’Alliance.
Accueillons-Le dans notre vie, quelque soit l'engagement que nous prendrons.
"Béni soit l'homme qui s'appuie sur le Seigneur. Le Seigneur sera son appui." Jr 17,7-8.
"Bon voyage!" Sr Y.