Moine : une renaissance humaine et spirituelle
Frère Emmanuel-Marie : Au monastère, renaître...
Ami(e) ! Je viens t’entretenir, non sans appréhension, de ce qui fait le cœur de ma vie de moine. Je prends le risque d’écrire ces lignes dans l’espérance que mon chemin puisse un peu éclairer le tien.
Me voici dans ma trentième année de vie monastique. J’ai vécu, à travers cette déjà longue marche, accompagné par mes frères de l’abbaye de Maylis, une renaissance humaine et spirituelle que je dois à la sagesse de saint Benoît. Voici donc en quelques flashs très incomplets, ce que je souhaite te témoigner de cette renaissance… inachevée.
Mon appel à la vie monastique a été précédé par une expérience fondatrice qui a gravé en moi une assise pour ma vie intérieure. Après le bac, et une douzaine d’années austères sur les bancs de l’école, j’ai voulu souffler en prenant une année sabbatique. J’ai vécu ce temps de recul comme berger dans l’Allier. J’étais presque seul avec quelques centaines de brebis, me ressourçant spirituellement à l’abbaye cistercienne de Sept-fons toute proche. Cette solitude habitée fut pour moi une période unique d’harmonie intérieure et l’une des années les plus fécondes de ma jeunesse.
Que suis-je vraiment venu chercher, quelques années plus tard, à l’abbaye de Maylis ? Question bien embarrassante. Je ne suis rien venu chercher ! J’ai le sentiment que c’est moi qu’on est venu chercher, ou plutôt que c’est Lui qui est venu me chercher. Comme le raconte André Frossard à propos de sa conversion : "Entré athée dans une église, j’en suis ressorti catholique, apostolique, romain". De même, je peux dire que le jour de l’Ascension 1987, je suis venu sans aucune arrière-pensée pour la messe à l’abbaye de Maylis que je connaissais depuis mon enfance. J’avais juste une peur au ventre qui me taraudait dans les kilomètres qui ont précédé mon arrivée : "Mais qu’est-ce que tu viens faire dans ce trou ?". Et je suis reparti le jour même « moine de Maylis ». Dans mon cœur il n’y avait aucun doute que ma vie serait ici. Mystère de joie et de grâce d’avoir trouvé le port. Le mûrissement de cet appel si fulgurant sera l’œuvre de toute ma vie.
Pour moi être moine, c’est apprendre à vivre en présence du Seigneur : il est Vivant ! Et notre mode de vie monastique fait toucher concrètement cette présence vivante à notre côté et en nous. Rien ne serait possible de ce que nous vivons, entre nous et avec ceux qui nous approchent, sans Lui. Il est là en moi comme une étincelle intérieure qui donne sens, paix et direction à ma vie. Il me donne de sentir ce qui ne doit être lâché à aucun prix, et ce qui est contingent. Il me donne cette paix intérieure d’être sur un chemin de Vie.
Vivre et croître dans la vie monastique, comme dans toute vie spirituelle, demande une nourriture quotidienne solide. La communauté me donne, sous différentes formes, cette nourriture vitale. D’abord par la liturgie, sept fois par jour nous devons nous arracher à nos activités pour nous plonger dans la contemplation de Dieu. Ce temps offert creuse en moi un puits d’où peut jaillir l’eau vive. C’est un temps de grâce ecclésial constructif et fécond qui donne chair à ma relation à Dieu. Un autre aliment découvert au fil des années, est la lectio divina biblique, un temps personnel quotidien de lecture suivie et priée de la Bible. Par cette fréquentation assidue des textes inspirés, la Parole vivante de Dieu essaie de se frayer un chemin dans mon cœur et de lui apprendre son mode de vie divin. La vie fraternelle est aussi un aliment de choix de ma croissance, elle met à nu les limites et les fragilités de chacun, pour que le temps et la miséricorde, avec la grâce, nous permettent de nous ajuster et de nous construire les uns par les autres. Enfin, je grandis aussi par l’accompagnement de plusieurs personnes qui comptent sur moi, sur mon aide, sur ma vie de prière, sur ma fidélité comme moine.
En plus de ces aliments essentiels, un autre aspect de notre vie monastique cénobitique me semble fondamental : l’adhésion active au projet communautaire, au discernement de l’abbé et à la communion fraternelle. S’investir pour que la communauté soit une communauté vivante et fidèle qui se laisse déranger, déplacer par l’Esprit. Ouverte mais enracinée dans son identité, dans la liturgie, la lectio et une vie fraternelle solide.
Comme dans toute vie, le moine n’est pas à l’abri d’épreuves, elles sont normales. Elles sont le lieu privilégié de guérisons intérieures et de la croissance humaine et spirituelle. Des périodes très difficiles, voir critiques, des combats spirituels et fraternels ont été des passages obligés de ma vie de moine. J’ai pu les traverser grâce au sentiment fort d’être à ma place à Maylis, d’y avoir été appelé par un Autre qui me dépasse, qui s’est engagé avec moi et qui a tenu parole. Quand tout vacillait, une petite étincelle de paix est toujours demeurée au fond de mon cœur, même aux périodes les plus noires. Le temps, la grâce et le soutien indéfectible de certains frères m’ont permis de retrouver la terre ferme. Ce sont les "pâques", petites et grandes auxquels tous nous sommes confrontés dans nos vies, mort et résurrection pour une renaissance.
Ces trente années de vie monastique m’ont apporté une paix profonde, la liberté intérieure et la joie de me sentir un enfant aimé du Père. Ma relation à Jésus s’est approfondie au cours de ces années par l’apprentissage de la confiance. Jésus se présente à moi comme l’Axe de mon existence, l’Appui m’invitant patiemment à lâcher tout autre appui, la Vie irriguant ma vie, l’Amour m’initiant à l’Amour. J’ai aussi découvert les grandes richesses des liens de l’amour fraternel tissés dans l’ouverture du cœur et la fidélité, ainsi que le service des autres, particulièrement des plus pauvres.
Pour terminer, je voudrais t’encourager à vivre ton propre chemin de renaissance, n’aie pas peur de devenir ce que tu es ! de laisser l’Esprit Saint conduire tes pas. Le chemin peut être long, parfois difficile, mais tu n’es pas seul, l’Hôte intérieur sera un guide sûr… et le bonheur t’habitera.